Le digital au service de la traçabilité
Dans un environnement toujours plus demandeur de traçabilité, la filière a une carte à jouer via les innovations numériques. Saura-t-elle aller jusqu’à la blockchain ?
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La supply chain n’est pas qu’une affaire de logistique physique, il y est aussi question de traçabilité. Et il existe aujourd’hui une demande significative de la part des consommateurs (et des metteurs en marchés) pour plus de transparence et de visibilité des méthodes de production et de transformation. La traçabilité, au sens réglementaire (paquet hygiène), existe d’ores et déjà et fonctionne. Son objectif est de pouvoir identifier un produit (ou un lot) et le retirer très rapidement et avec un maximum de sécurité en cas de non-conformité ou de danger. Le hic, c’est qu’elle fonctionne « en silo ». « C’est super d’avoir des preuves, mais si ça ne va pas jusqu’aux consommateurs, ça ne sert à rien, lâche Xavier Wagner, DG d’Applifarm, plateforme d’échange, de valorisation et de traçabilité des données d’élevage. Il faut normaliser des évènements de traçabilité à chaque étape de la vie du produit, depuis la ferme jusqu’au consommateur. »
C’est pourquoi Terrena a lancé son application Monagriculteur.coop. Disponible sur 13 références produits de poulet La Nouvelle Agriculture, « cette application a vocation à s’étendre à toutes les filières de Terrena, précise Guillaume Ardillon, le directeur digital. On est d’ores et déjà en réflexion sur le bœuf, le porc, la farine. » Avec un simple scan du code-barres et la saisie du numéro de lot, le consommateur a accès à différentes fonctionnalités : une identification et une localisation du producteur et des acteurs de la filière avec qui il travaille, une chronologie des étapes de production et une découverte « immersive et pédagogique » des conditions de production. Une initiative qui a notamment été permise par la plateforme collaborative GS1 de traçabilité et d’échanges de données sur laquelle elle s’appuie.
Lien distendu avec le consommateur
Le problème, c’est que, dans les métiers du grain, les céréales brutes doivent être transformées, le plus souvent au moins deux fois, avant de rencontrer les consommateurs. D’où une dilution de la traçabilité. « Par conséquent, le lien entre le consommateur et la zone de production est distendu, reconnaît-on chez Intercéréales. Les consommateurs sont de plus en plus connectés et en recherche d’information sur l’origine des produits et la traçabilité. » Cette aspiration a été exprimée dans une étude de Viavoice pour Passion céréales en 2016, puisque, concernant leurs attentes en termes d’informations sur les céréales, la première à ressortir (76 % des répondants) est la provenance des produits. Créer ce lien, tracer les lots de céréales, apporter cette information au consommateur pour rétablir la confiance, c’est toute l’ambition du projet initié par l’interprofession céréalière (lire ci-dessous) qui se veut pionnière sur le sujet.
Émergence de la blockchain
Autre solution qui commence à faire parler d’elle dans la chaîne agroalimentaire : la blockchain, une technologie de stockage et de transmission d’informations, transparente, sécurisée, fonctionnant sans organe central de contrôle, si l’on s’en tient à la définition de Blockchain Partner, acteur français du conseil sur cette technologie. Par extension, une blockchain constitue une base de données contenant l’historique de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs, les prenant comme témoins, sans tiers de confiance. Il existe des blockchains publiques, ouvertes à tous, celle du bitcoin étant la plus connue, et des blockchains privées, dont l’accès et l’utilisation sont limités à un certain nombre d’acteurs ayant des intérêts communs, mais ne se connaissant pas nécessairement, ni ne se faisant totalement confiance.
« En tant qu’entreprise, si vous voulez utiliser la blockchain, précise Olivier Frey, consultant-formateur et spécialiste des coops agricoles et de l’agtech, ce sera dans le cadre de la blockchain privée. » Les enregistrements définitifs de chaque action permettent l’utilisation des « smart contracts », petits programmes informatiques sous la forme de règles de décisions conditionnelles qui permettent d’automatiser des tâches. « C’est l’équivalent informatique du contrat papier classique, aussi bien du point de vue du mode d’enregistrement que de l’exécution », traduit Olivier Frey.
Les ABCD sur les rangs
Il y a toujours peu de projets aujourd’hui de traçabilité alimentaire en blockchain, alors qu’indéniablement, c’est une innovation technologique qui présente des intérêts réels, parmi lesquels la transparence, la simplification des transactions, l’automatisation des échanges de données ou la traçabilité : la multinationale Walmart a pu retracer l’origine d’une mangue en 2,2 secondes contre une semaine auparavant. Dans les métiers du grain, on sent que ça bouge, même s’il n’y a pas encore de grandes concrétisations. À signaler tout de même une influence grandissante en Australie. Là-bas, deux start-up, AgriDigital, qui a déjà au compteur 6 Mt de céréales commercialisées, et sa concurrente BlockGrain, s’y sont mises, plutôt dans une logique de payer instantanément les agriculteurs à la livraison. Dans un autre registre, les géants du négoce international, les fameux ABCD, ont annoncé vouloir avancer main dans la main sur cette thématique. À ce stade, seuls des tests ont été réalisés sur certaines cargaisons, mais lors d’une vente de soja à la Chine par Louis Dreyfus, les données et les documents ont été traités cinq fois plus rapidement. « Plus personne n’arrivera à développer des systèmes digitaux en se débrouillant tout seul, reprend un observateur du métier. Cela nécessitera des ressources beaucoup trop importantes, d’autant plus que les OS font tous la même chose, de la même façon. »
En France, c’est la grande distribution qui pousse le sujet de la blockchain. Casino vient de s’y lancer avec le miel, Auchan avec les carottes, mais c’est surtout Carrefour qui est le plus avancé et fait bouger les lignes.
Carrefour, chantre de la blockchain
L’enseigne se targue d’avoir lancé la première blockchain alimentaire d’Europe, à laquelle Axéréal est associée sur du poulet d’Auvergne Filière qualité Carrefour. Quinze produits sont déjà concernés dans cinq pays (dont la France et la Chine), avec un objectif de 50 références fin 2019. Ainsi, en scannant le QR code (code-barres à deux dimensions) présent sur l’étiquette, le consommateur peut accéder via son smartphone à des informations sur les conditions de production et d’élevage. « Au lieu que l’information soit fragmentée, témoigne Emmanuel Delerm, directeur blockchain du groupe Carrefour, elle est rassemblée en un seul endroit et on la met à disposition du consommateur. Ce dernier va regarder une ou deux fois, peut-être qu’après il ne va pas y retourner. Mais on aura créé les conditions de la confiance. » Avec des résultats positifs sur les ventes, bien entendu…
Nataïs parmi les pionniers
La Dauphinoise réfléchit de son côté à mettre en place une démarche de traçabilité pour ses œufs, sur un support blockchain, « qui permettra d’informer le consommateur, de certifier les produits à chaque étape de la filière et d’en attester la valeur éthique et environnementale ».
Nataïs, plus important collecteur de maïs à éclater en Europe, a choisi, lui, d’exploiter la technologie blockchain pour tracer le maïs depuis sa récolte, le transport et la transformation en usine, jusqu’à la livraison finale dans les cinémas et supermarchés, et donner la possibilité aux consommateurs, via un QR code, d’en apprendre davantage sur leurs portions de pop-corn. « La numérisation, tout au long de la chaîne d’approvisionnement, facilite le travail de nos agriculteurs, employés et transporteurs, et réduit le risque d’erreurs logistiques, indique Michael Ehmann, président de Nataïs. Les agriculteurs recevront les informations logistiques nécessaires pour identifier leur livraison de maïs via un QR code. Ce même code sera utilisé par le transporteur quand il livre la cargaison sur le site de stockage de Nataïs. Qualité, variété, poids du chargement, champ d’origine du maïs : toutes ces informations seront disponibles. »
Simplifier l’administratif
D’autres initiatives émergent : Ositrade (lire p. 33), Turbo Cereal (Marcel Turbaux) et Boursagri (Ets Jeudy), qui revendique l’utilisation d’une technologie blockchain pour sa place des marchés physiques en ligne. La blockchain pourra d’ailleurs peut-être décoller dans la chaîne du grain par un autre bénéfice que la traçabilité, celui d’être au service du commerce en sécurisant les transactions et en simplifiant les processus administratifs. Comme le résume Stéphane Bernhard, d’InVivo Trading, « la blockchain, ça ne crée pas de valeur significative, mais ça viendra forcément en tant que standard pour économiser quelques jours de traitement administratif ».
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Réinventer la chaîne du grain
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